Il existe des décisions qui, sous couvert de modernité ou de simplification, racontent en réalité une forme de renoncement. Supprimer le mot Mérignac de l’aéroport Bordeaux-Mérignac pour ne conserver que Bordeaux n’est pas un simple ajustement sémantique. C’est un acte politique, même s’il ne dit pas son nom. Car un nom n’est jamais neutre. Il porte une histoire, une identité, une reconnaissance. Retirer le nom d’une ville, c’est effacer symboliquement ceux qui y vivent. C’est transformer un territoire en périphérie abstraite. C’est dire, sans l’assumer franchement, que certains existent moins que d’autres.
La fierté d’appartenance ne se décrète pas par des campagnes institutionnelles ou des slogans lissés. Elle se construit dans le temps, dans la reconnaissance, dans la capacité d’un territoire à se nommer et à être nommé. Abraham Maslow l’a parfaitement identifié lorsqu’il décrit le besoin d’appartenance comme un pilier fondamental de l’équilibre humain. Se sentir d’un lieu, s’y reconnaître, y être reconnu, conditionne notre capacité à nous projeter, à nous engager, à prendre part au collectif. Lorsqu’un individu se sent appartenir, il se sent légitime. Il se sent entendu. Il se sent en sécurité. À l’inverse, lorsque ce sentiment disparaît, la défiance s’installe et le lien se délite.
Une ville n’est pas seulement un ensemble de compétences administratives ou une ligne sur une carte métropolitaine. Une ville est un récit commun. Elle est une mémoire partagée et une promesse d’avenir. Lorsqu’à sa tête, l’ambition symbolique n’est plus portée, lorsque l’identité devient négociable, la ville commence à se dissoudre bien avant toute disparition matérielle. À quoi bon être une ville si ceux qui la dirigent ne semblent plus fiers de ce qu’elle est ? À quoi bon administrer un territoire si l’on n’en assume plus la singularité, ni la contribution, ni le rôle propre ?
Mérignac n’est pas un quartier de Bordeaux. Mérignac est une ville à part entière, avec une histoire, une population, un tissu économique puissant, un aéroport qui porte son nom depuis des décennies et qui a largement contribué à son développement. Renoncer à ce nom, c’est renoncer à affirmer une existence pleine et entière. C’est accepter de devenir invisible dans un ensemble plus large où la responsabilité politique se dilue.
Car c’est là l’une des plus grandes arnaques politiques contemporaines : la dilution volontaire des responsabilités. Tout devient affaire de communauté de communes, de métropole, de structure interterritoriale. La décision n’appartient plus vraiment à personne. Le courage politique s’efface derrière des couches administratives successives. Chacun peut ainsi se dédouaner, expliquer que ce n’est plus son ressort, que cela se décide ailleurs, plus haut, plus loin. Lorsque la responsabilité se dilue, la fierté disparaît. Lorsqu’il n’y a plus d’incarnation politique, il n’y a plus de vision. Ce n’est pas du ressort du Maire mais de la Metropole, ce n’est pas la Métropole mais le Département, de n’est pas le Département mais la Région, ce n’est pas la Région mais l’Etat, ce n’est pas l’Etat mais l’Europe, ce n’est plus l ‘Europe mais le système. Personne n’est responsable, plus personne n’est compétent.
Et pour revenir à l’échelon local, à Mérignac, sans fierté, il n’y a plus de projet collectif. Un territoire qui n’est plus nommé est un territoire qui n’est plus projeté. Le sentiment d’appartenance est ce qui permet à chacun de se sentir légitime de s’exprimer, de contribuer, de construire. Il est la base même de la démocratie locale. Sans lui, la ville devient un simple espace fonctionnel, un lieu de passage que l’on traverse sans y déposer quelque chose de soi.
Retrouver la fierté ne passe pas par des artifices de communication. Cela commence par des choix clairs. Par le courage d’assumer une identité. Par le respect du nom. Par la volonté de dire que l’on existe par soi-même et non par délégation. Une ville qui n’est plus fière d’elle-même ne peut pas demander à ses habitants de l’être à sa place.
La question n’est donc pas seulement celle d’un aéroport. Elle est bien plus profonde. Elle interroge notre capacité collective à croire encore au sens de la ville, à la légitimité de ses habitants et à la responsabilité de ceux qui la dirigent. Lorsqu’on enlève le nom, ce n’est jamais simplement un mot que l’on retire. C’est une fierté que l’on affaiblit, et avec elle, un lien invisible mais essentiel qui fait tenir ensemble une communauté entière.

