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Le corps invisible, entreprendre quand la douleur ne se voit pas

J’ai longtemps cru que l’endurance était une qualité. Que la fatigue faisait partie du contrat moral de ceux qui entreprennent. Puis un jour, mon corps a cessé de suivre. La fibromyalgie m’a appris qu’on ne dirige pas un corps comme une entreprise — et qu’à force de résister, on oublie parfois d’écouter.

Le corps comme terrain de lutte

J’ai longtemps cru que l’endurance était une qualité.
Que la fatigue faisait partie du contrat moral de ceux qui entreprennent.
Que la douleur se domptait à la volonté, comme un animal qu’on dresse à ne pas mordre.

Puis un jour, mon corps a cessé de répondre.
Il s’est mis à parler à sa façon — par la raideur, la brûlure, la douleur et l’épuisement.
Ce n’était pas spectaculaire. Ce n’était même pas visible.
Mais c’était là, constant, précis, obstiné.

C’est ce jour-là que j’ai compris : on ne dirige pas un corps comme une entreprise.

Le paradoxe de la douleur silencieuse

La fibromyalgie est une maladie étrange.
Elle ne laisse pas de traces sur les radios, ne s’annonce pas par une cicatrice, ne se montre pas sur un visage.
Elle se glisse entre deux réunions, entre un sourire et une poignée de main, entre un “tout va bien” et une nuit blanche.

Elle n’empêche pas (toujours) d’avancer, mais elle impose un dialogue permanent.
Chaque jour devient une négociation entre ce que je veux faire et ce que mon corps m’autorise à accomplir.

Le monde de l’entreprise ne sait pas toujours quoi faire de cette invisibilité.
On valorise la performance, la vitesse, l’énergie.
On admire ceux qui résistent, pas ceux qui composent.
Pourtant, il y a une forme d’intelligence à apprendre de cette contrainte :
celle d’écouter ce que le corps dit quand l’esprit veut aller trop vite.

Et puis je suis un homme. La fibromyalgie touche un homme pour 9 femmes. Et puis je suis un homme. Un homme ça n’a pas mal, un homme ça endure.

Apprendre à écouter le corps comme on écoute une équipe

Avant, je pensais que gérer une entreprise, c’était piloter.
Aujourd’hui, je crois que c’est écouter.

La fibromyalgie m’a appris à repérer les signaux faibles — comme dans un collectif.
Une tension dans la nuque devient un mail urgent de mon organisme.
Une douleur diffuse est un rappel à la délégation.
Un épuisement brutal, une alerte de stratégie : “tu t’égares”.

Alors j’ai commencé à travailler autrement.
À planifier avec souplesse.
À accorder autant d’importance au repos qu’à la réunion, même si c’est (vraiment) pas simple.
À comprendre que le courage, parfois, c’est de s’arrêter avant de casser.

Ce management du corps est le plus exigeant de tous : il ne laisse rien tricher.

La puissance de la lenteur choisie

Dans une certaine forme de lenteur, j’ai découvert la profondeur.
Quand le corps t’impose de ralentir, tu redonnes une valeur au temps.
Tu t’aperçois que ce que tu croyais urgent ne l’est pas toujours.
Que ce qui semblait productif peut devenir stérile.
Et que ce qui paraissait une faiblesse devient une forme d’équilibre.

La fibromyalgie m’a forcé à inventer un demi-temps nouveau :
moins de démonstration, plus d’essence.
Moins de performance, plus de présence.
Moins de bruit, plus d’écoute.

Elle m’a appris qu’entreprendre, ce n’est pas seulement avancer.
C’est aussi apprendre à tenir debout autrement.

La fragilité comme force tranquille

Je ne me bats plus contre mon corps.
Je fais équipe avec lui.
Certains jours, il gagne. D’autres, c’est moi.
Mais nous travaillons ensemble, avec la même mission : avancer sans nous trahir.

La douleur n’est plus l’ennemie.
Elle est devenue un indicateur, une boussole, parfois même une alliée.

Je continue d’entreprendre, car je ne sais pas faire autrement. Je parlais des différents rythmes, je rajoute ici le dernier.
Peut-être parfois plus lentement, mais surtout plus lucidement.
Et si la réussite a désormais un autre visage,
c’est celui de l’équilibre retrouvé — fragile, imparfait, mais profondément humain.

L’invisible ne m’empêche plus d’entreprendre. Il m’apprend simplement à le faire autrement.

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